L'humanité se partage entre hommes et femmes. Mais comment s'y prend-on pour distinguer, pour diviser ? Qui est nous ? Qui sont les autres ? Est-ce satisfaisant de dire : les autres sont ceux qui ne sont pas nous : les animaux, les femmes, les étranges étrangers ? À ce compte, écrit Platon (vers 428-348 av. J.-C.) dans Le Politique, les grues qui sont des bipèdes ailés fort intelligents, à ce qu'il paraît, diraient : « Nous sommes intelligentes, les autres ne le sont pas. » En ce cas nous, les êtres humains, nous serions rangés parmi les bêtes brutes. N'y a-t-il pas quelque chose qui cloche là-dedans ? Chacun son point de vue ?
Il apparaît au contraire, poursuit Platon que, pour diviser correctement les humains en humains-femmes et en humains-hommes, il faut s'y prendre d'une autre façon que lorsque, couramment, nous opposons les gens prétendument civilisés aux barbares – pour nommer les autres peuples parlant d'autres langues, ayant d'autres mœurs, les Grecs de l'époque classique ne disaient pas « étrangers » ni « sauvages », mais « barbares ». Que dit-on quand on dit « barbare » ? En grec ancien le mot signifie « celui qui ne parle pas grec, celui dont nous, les Grecs, entendons les voix comme du bruit, des glapissements et non comme des paroles humaines articulées et sensées ». Le groupe des barbares est ainsi pauvrement défini comme antagoniste à celui des Grecs. Pourtant, d'une part, les Grecs ne sont pas « une race à part » et, d'autre part, le groupe des barbares est en réalité très diversifié : les barbares ne parlent pas tous la même langue ni ne forment un genre unique. Il convient donc d'éviter les discriminations.
Que peut-on conclure de ce détour critique ? Au lieu de répondre bêtement à la question : « qu'est ce qu'être homme ? » par « c'est ne pas être un animal, une femme, un barbare, etc. », il vaudrait mieux dire : « les hommes sont ou bien des hommes ou bien des femmes, ou bien des Grecs ou bien des Scythes, comme les nombres sont ou bien pairs ou bien impairs ».
Les femmes ne sont pas « les autres », ce sont d'autres hommes : coupez « homme » bien au milieu et vous aurez « femme ». C'est, par exemple, ce qu'exprime la règle en français selon laquelle en matière d'accord, le genre masculin l'emporte, puisque homme est à la fois le genre (humain) et la différence spécifique (le masculin).
En ce cas, on dira, avec Eduardo Viveiros de Castro, que l'unité de l'esprit humain s'actualise dans une multiplicité de corps – d'ailleurs peut-être pas seulement masculin-féminin, peut-être aussi animal-humain, mort-vivant, comme le pensent si justement les Amérindiens.
Pour aller plus loin
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